C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès de notre collègue Robert W. Cochrane (Bob) le 30 avril dernier des suites d’un dur combat contre le cancer. Le professeur Cochrane était un grand universitaire, un physicien doué, un leader scientifique incontestable, un collègue attentionné et dévoué, et un homme sage et généreux.
Robert Cochrane est né à Toronto en 1940 et a fait toutes ses études à la University of Toronto. Il a obtenu son doctorat en 1969 pour sa thèse intitulée Magnetic Moment of Iron-Nickel Invar Alloys Between 4 and 80 K, sous la direction de G.M. Graham. Il a par la suite effectué un stage postdoctoral à Yale (1969-1971), sous la direction de Werner Wolf, puis s’est joint au Département de physique de l’Université McGill à titre de Reader et de Research Associate (1971-1978).
Le professeur Cochrane a été recruté par l’Université de Montréal en 1978. Sa réputation comme chercheur était déjà, à ce moment-là, solidement établie. Spécialiste des systèmes magnétiques, il a été l’un des pionniers de la recherche sur les verres métalliques, un domaine alors en pleine émergence. Il a été parmi les premiers à imaginer tout le potentiel de ces matériaux nouveaux, que l’on retrouve maintenant dans nombre d’applications (enregistrements magnétiques, senseurs, etc.). Émanant directement des travaux dans ce domaine, la physique des matériaux désordonnés et quasi-cristallins a connu un essor phénoménal qui se poursuit encore aujourd’hui.
Le professeur Cochrane a joué, dès son arrivée, un rôle déterminant dans la mise sur pied d’un important groupe de recherche en physique des matériaux sur le campus de l’Université de Montréal : le Groupe de recherche en physique et technologie des couches minces (GCM). Officiellement fondé en 1984, le GCM regroupe des chercheurs de l’Université de Montréal (physique et chimie) et de l’École Polytechnique, et il reste encore aujourd’hui un modèle de concertation interuniversitaire. Robert Cochrane en a été directeur de 1999 à 2004.
Le professeur Cochrane a établi à l’UdeM un important groupe de recherche en physique des matériaux, poursuivant en outre ses travaux sur les propriétés magnétiques des matériaux nanostructurés (notamment en multicouches) et des verres métalliques, mais explorant également d’autres voies, en particulier la physique des matériaux photovoltaïques, le silicium amorphe hydrogéné, les défauts dans les semi-conducteurs, les multicouches épitaxiales de composés III-V et, vers la fin de sa carrière, la « spintronique », un champ entièrement nouveau en physique des matériaux. Ses nombreuses contributions scientifiques ont été publiées dans les meilleures revues du domaine. Par ailleurs, au-delà de ses publications scientifiques, la réputation du professeur Cochrane était véritablement internationale. En outre, il s’est vu confier, avec le professeur Ström-Olsen (McGill), l’organisation du prestigieux congrès Rapidly Quenched Metals 6 qui s’est tenu à Montréal en 1987. Aux dires de plusieurs, ce congrès a été le plus réussi de la série. Robert Cochrane a donné à cet événement la rigueur scientifique nécessaire à son succès.
En parallèle avec ses activités de recherche, le professeur Cochrane a déployé énormément d’énergie dans la création de deux grands regroupements de chercheurs en matériaux, l’un et l’autre d’une importance stratégique de premier plan pour notre institution et pour le Québec. En premier lieu, il a été l’architecte principal du grand consortium NanoQuébec (maintenant PrimaQuébec) et en a aussi présidé le premier Comité scientifique (de 2001 à 2004). Le succès de l’opération a été éclatant. Robert Cochrane a réussi le tour de force de rallier tous les joueurs actifs en nanosciences au Québec. Tous ceux qui ont travaillé à ce dossier savent combien il était difficile de réunir à la même table des chercheurs aux intérêts vastes et multiples, et parfois divergents. N’eût été de sa stature scientifique, de son tact, de sa diplomatie et de son travail incessant, NanoQuébec n’aurait jamais vu le jour. En témoignage du travail et de l’apport significatif d’une personnalité à l’avancée de la nanotechnologie au Québec, NanoQuébec lui a décerné le prix de reconnaissance Nano 2007.
Par ailleurs, Robert Cochrane a présidé à la mise sur pied du Regroupement québécois sur les matériaux de pointe (RQMP), un Regroupement stratégique du FQRNT créé en 2003. Le RQMP, toujours bien vivant, rassemble les forces vives de la recherche en physique des matériaux au Québec, soit plus de 75 équipes de recherche en tout. Il a été responsable de la proposition de création du RQMP auprès du FQRNT et il en a été nommé directeur pour un mandat initial de deux ans. Cette réalisation est peut-être sa réussite la plus notable. Ses qualités et ses compétences de rassembleur ont été primordiales pour ce projet.
Robert Cochrane a contribué de manière exemplaire à la formation d’étudiants et de chercheurs à tous les cycles. Il a notamment occupé un rôle de premier plan dans l’organisation des cours de laboratoires au Département de physique. Ses enseignements, aussi bien en laboratoire qu’en classe, étaient empreints d’une très grande rigueur. Dans ses travaux de recherche, il a toujours privilégié la qualité à la quantité. Tous les étudiants et chercheurs qu’il a encadrés ont reçu de lui une formation du plus haut niveau, solide, attentive et « taillée sur mesure ». Les qualités intellectuelles de Robert Cochrane lui ont valu d’être sollicité pour participer à de nombreux comités, aussi bien au département qu’hors du département. Au CRSNG, par exemple, il a siégé au Comité Physique de la matière condensée et au Comité Interdisciplinaire, qu’il a présidé.
Le professeur Cochrane a pris sa retraite le 1er mars 2005 et a poursuivi ses activités de recherche pendant plusieurs années par la suite, tout en cultivant sa grande passion pour le golf. Homme de famille, il tenait aussi à passer du temps avec ses proches – son épouse, ses trois enfants et ses cinq petits-enfants. Son héritage scientifique est immense et les chercheurs en matériaux lui en sont grandement reconnaissants. Il nous manquera grandement.
Laurent J. Lewis