Le 1er janvier 2022, Laurent Lewis a pris sa retraite, après une carrière professorale riche et marquante à l’Université de Montréal commencée 35 ans plus tôt. Si cette retraite n’est pas une séparation, puisque Laurent a reçu le titre de professeur émérite pour ses contributions exceptionnelles, ce qui lui permet de maintenir un lien formel avec le département et l’université, elle est l’occasion de souligner ses nombreuses contributions.
Embauché avec l’aide d’un programme du gouvernement du Québec visant à renouveler le corps professoral, Laurent a introduit la modélisation numérique des matériaux au Département de physique, une approche qui était alors souvent mal vue des théoriciens plus classiques et des expérimentateurs. Formé à l’Université d’Ottawa puis à l’Université McGill, suivi d’un séjour post-doctoral à l’Université Cornell, sous la supervision du grand physicien Neil Ashcroft, Laurent est un spécialiste des verres métalliques et des systèmes désordonnés en général, et son arrivée au département permettait de compléter l’expertise expérimentale de Robert Cochrane sur le sujet.
Un chercheur de haut calibre
Rapidement, Laurent fait sa marque dans le domaine de la transition vitreuse dans les verres métalliques, mais aussi dans les verres moléculaires, avec une série de travaux très remarqués qui deviennent presque instantanément des classiques du domaine. En parallèle, Laurent s’intéresse aussi aux semiconducteurs amorphes, dont le silicium, qui restera un de ses matériaux de prédilection pour l’ensemble de sa carrière. Au début des années 1990, s’appuyant largement sur la dynamique moléculaire, il commence une série de travaux sur les surfaces qui l’amèneront à étudier les mécanismes de diffusion, les mécanismes de coalescence des nano-agrégats et la physique de l’ablation laser avec, dans tous ces domaines, la production de résultats majeurs présentés dans des articles qui sont, aujourd’hui encore, des références incontournables. Plusieurs raisons expliquent la pérennité des travaux de Laurent, incluant son originalité, sa rigueur intellectuelle, les liens forts avec l’expérience et sa plume d’une grande qualité. À l’heure où les articles scientifiques sont rédigés dans un anglais souvent bâtard, les textes de Laurent se démarquent par leur logique, mais aussi le rythme et la clarté du langage.
Dès le début de sa carrière, Laurent a su s’entourer de collaborateurs de haut niveau, tant parmi ses collègues sur le campus que du reste de la planète. Parmi les premiers, on peut souligner Michel Meunier, mais aussi Sjoerd Roorda, Arthur Yelon et l’auteur de ce texte. À l’extérieur, on peut retenir, parmi une très longue liste, Michael Klein, Chandre Dharma-wardana et Jean-Louis Barrat.
Assurer les ressources aux chercheurs en simulation numérique
Laurent a fortement contribué au développement de la modélisation numérique au département, à l’université et au Québec dans son ensemble. À peine arrivé en poste, il crée, dès 1989, le premier cours de modélisation du département. À la fin des années 1990, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Sherbrooke, il obtient du financement important pour l’achat d’un super-ordinateur. Si la demande pour ce financement est dirigée par Dennis Salahub, celui-ci quitte à peine la subvention accordée et Laurent prend la relève pour piloter la mise en place du centre. En 1999, avec les co-chercheurs de la demande, il créé le Regroupement québécois de calcul de haute performance (RQCHP) et mets en place le premier réseau de super-ordinateurs dédiés à la recherche au Québec puis, quelques années plus tard, il crée Calcul haute performance Québec, qui permet de regrouper les deux consortiums de calcul québécois dans une seule structure, afin de financer l’opération des machines et le soutien et l’accompagnement des chercheurs. Il s’agit, pour Laurent, de mettre en place une structure capable de soutenir l’ensemble des chercheurs des institutions membres, quelle que soit leur discipline. Ce modèle servira de référence lors de la création de Calcul Québec et de Calcul Canada, quelques années plus tard.
Au service de l’université, des chercheurs et des étudiants
Nommé directeur adjoint au Département en 1997, Laurent pilote de nombreux dossiers avec l’appui du directeur de l’époque, Raynald Laprade. Parmi ceux-ci : la modernisation des programmes du premier cycle avec, entre autres, l’introduction de cours disciplinaires — astronomie, biophysique, matière condensée, particules et plasma — dès la deuxième année, la création du cours d’introduction aux méthodes numériques à la première session, un cours qui recevra, marque de l’humour de Laurent, le sigle PHY1234, et le lancement du baccalauréat bi-disciplinaire en physique-informatique et de l’option Physique médicale à la maîtrise. Laurent cherche aussi à améliorer la visibilité du département; il relance le bulletin Interaction et mets en place un comité pour diffuser plus régulièrement des communiqués qui mettent en valeur les réalisations des chercheurs et étudiants du département, deux initiatives qui se maintiennent 20 ans plus tard (?). Toujours rigoureux, Laurent travaille aussi au plan stratégique du département de physique, ce qui facilitera grandement l’obtention de Chaires de recherche du Canada lorsque le programme sera déployé. Préoccupé du sort des étudiants aux cycles supérieurs, il dirige en parallèle avec ces activités, l’élaboration d’une première politique de financement pour ceux-ci, ce qui met fin aux écarts majeurs de soutien offert aux étudiants à l’époque.
Sans surprise, avec un tel état de service, Laurent prend la suite de Raynald, lorsque celui-ci termine son mandat en 2001. Il profite de ses années à la tête du département pour poursuivre les transformations déjà mentionnées, pousser le recrutement de professeurs et renforcer les groupes de recherches, tout en pilotant l’important et imposant exercice d’auto-évaluation du département.
Après six années comme directeur, il retourne avec enthousiasme à son rôle de professeur-chercheur. Cet intermède de « simple » professeur ne dure guère toutefois et, en août 2008, à peine revenu d’une année sabbatique en Europe, il est nommé vice-doyen à la recherche et à la création, la faculté des Arts et des sciences considérant qu’elle ne pouvait se passer de ses talents. Cette période est fertile pour Laurent. Outre le soutien aux nombreuses demandes FCI, Laurent prend la tête de l’organisation du congrès de l’Acfas 2010, un congrès de grande ampleur qui exige une importante planification. En parallèle, il dirige le Groupe de réflexion sur l’Institut de l’environnement et du développement durable, dont le rapport jette les bases du positionnement de l’Université de Montréal en la matière. Il rédige également le devis académique Un pôle pour les sciences et l’innovation : un concept, un milieu, un lieu, qui fourni l’argumentaire pour la création du campus MIL, et travaille intensément, durant tout son mandat, à l’élaboration et à la concrétisation de ce projet majeur. Parmi ses nombreuses réalisations, on peut mentionner sa contribution à la création de structures de recherche comme l’IREX et le MILA ainsi que, durant sa dernière année comme vice-doyen, le pilotage sans faute de la demande Apogée qui a mené à la création d’IVADO, l’Institut de valorisation des données, doté d’un budget qui a révolutionné la place de l’intelligence artificielle à Montréal.
En 2017, après 9 ans de service, ce qui est exceptionnel, il envisage à nouveau avec bonheur un retour à la recherche et à l’enseignement. Il est toutefois rapidement rappelé à l’administration pour seconder la vice-rectrice à la recherche, Marie-Josée Hébert, dans un rôle récemment créé, celui de vice-recteur associé à la recherche. Ce poste hors-structure, qu’il occupe jusqu’à la fin de 2020, lui permet, entre autres, de finaliser, avec la vice-rectrice, la mise en place d’IVADO, de piloter le recrutement de la première Chaire d’excellence en recherche du Canada (CERC) à l’Université de Montréal, de poursuivre ses efforts pour mettre le développement durable de l’avant à l’Université (projet CLAD) et de mettre un peu d’ordre dans la gestion des chaires de recherche du Canada et des grands concours de la Fondation canadienne pour l’innovation.
Assurer la formation des étudiants
On ne peut revenir sur la carrière de Laurent sans mentionner son intérêt marqué pour la formation, un intérêt qui l’a guidé dans ses efforts pour offrir un environnement de recherche de qualité aux générations d’étudiantes et d’étudiants qui se sont succédées depuis son arrivée en poste, toutes disciplines confondues. En plus d’avoir assuré de meilleures conditions de formation à celles-ci, Laurent a aussi formé directement de très nombreux étudiants aux cycles supérieurs et stagiaires postdoctoraux. Celles-ci et ceux-ci ont poursuivi leur carrière dans une diversité de domaines à travers la planète, riches d’une formation à la pensée critique, à la rigueur et au travail bien fait qui caractérise l’approche de Laurent.
Ayant eu le privilège de recevoir cette formation dans les premières années de carrière de Laurent, je ne peux que témoigner de l’exceptionnel encadrement qu’il a su offrir. Je profite donc de ce texte pour le remercier profondément pour ses conseils et son appui indéfectible depuis plus de 30 ans.
Normand Mousseau