Notre collègue Hannes Jeremie nous a quittés récemment et il convient de rappeler sa carrière et sa façon de contribuer au développement de la physique subatomique, comme nous disons maintenant, au sein de notre université, et de notre société. Bien sûr, la carrière de professeur comporte aussi un volet d’enseignement, mais nous voudrions ici insister davantage sur la contribution de Hannes au développement de la recherche dans notre université, puisque les étapes de sa carrière reflètent celles de l’évolution de notre domaine de recherche au cours des soixante dernières années.
De nationalité allemande, il fit des études doctorales au Collège de France et fit partie du premier groupe de physiciens recrutés au moment où s’élaborait le projet de construction de ce qui allait devenir le Laboratoire de Physique Nucléaire de l’université de Montréal. Dès 1965, le directeur du département de physique d’alors, le professeur Lorrain, qui avait lui-même démarré un premier laboratoire avec l’accélérateur Cockroft-Walton qu’il avait construit durant les années cinquante, l’invitait à accepter un poste de professeur. En 1968, le nouveau Laboratoire était inauguré, sous la direction du professeur René J. A. Lévesque, avec, comme principal équipement, un accélérateur Tandem Van de Graaf EN obtenu du laboratoire de Chalk River. Cet instrument servit pendant de nombreuses années à la formation d’un grand nombre de maîtrises et de doctorats (il est encore utilisé maintenant, quoique la recherche qui s’y fait ne porte plus sur la physique nucléaire) mais, dès les années soixante-dix, il devenait évident que l’avenir de la recherche en physique subatomique exigeait de nouvelles machines, et de nouveaux sujets de recherche. En travaillant durant ces années sur l’interaction nucléon-nucléon dans des réactions à basse énergie, Hannes s’orientait vers un type de recherche qui allait, au cours des années, s’ouvrir sur de nouvelles perspectives.
Après une première tentative infructueuse de projet interuniversitaire de laboratoire autour d’un grand cyclotron, un nouveau projet fut élaboré avec le directeur du laboratoire d’alors, le professeur Depommier. Il s’agissait d’un nouveau concept d’accélérateur d’électrons à faisceau continu (les accélérateurs d’électrons d’alors étaient presque tous pulsés, ce qui rendait impossibles les expériences de détection de particules en coïncidence). Dès ce moment, Hannes, en participant à un projet de recherche auprès de l’accélérateur d’électrons de MIT (Bates), permettait au groupe de l’Université de Montréal de prendre position dans ce nouveau type d’activité. Ce projet, commencé en 1973, avec une contribution importante de Hannes, allait permettre une transition vers un nouveau type de recherche auprès de grands accélérateurs en utilisant le laboratoire de Montréal comme base de départ pour ces nouvelles activités. À la même époque, d’autres projets se développaient, soit à TRIUMF (Vancouver), avec P. Depommier, soit à Chalk River (CRNL) avec P. Taras. Durant toute la période de 1978 à 1983, Hannes fut actif dans toutes les démarches auprès des autres universités et laboratoire nationaux pour obtenir les appuis nécessaires à la réussite du projet. Malheureusement cette deuxième tentative de regroupement universitaire n’aboutit pas. À la même époque s’était créé au Laboratoire un groupe de recherche sur les interactions faibles dont Hannes fit partie, et qui allait plus tard servir de noyau au groupe du Laboratoire participant au projet OPAL.
C’est à ce moment-là que fut prise la décision de faire un saut décisif vers la physique des hautes énergies, grâce à deux projets de recherche, dont Hannes fit partie. Le premier projet, qui devint plus tard le projet HELIOS, au CERN, avec le professeur Leroy, alors à McGill et plus tard à l’Université de Montréal, portait sur la détection de que l’on appelait le plasma quark gluon, qui demeure, après toutes ces années, toujours d’actualité.
Le deuxième projet majeur, et qui allait occuper Hannes durant le reste de sa carrière, et même au-delà de son départ pour la retraite, fut le projet OPAL, en cours d’élaboration et de construction au moment où le groupe de l’Université de Montréal s’y joignit. OPAL (Omni Purpose Apparatus for LEP) consistait en un très grand détecteur qui fut installé auprès du grand collisionneur électrons-positons au CERN. Une importante équipe de physiciens canadiens venus de plusieurs universités et laboratoires nationaux contribua à la construction et à l’exploitation de cet instrument au sein d’une collaboration internationale regroupant des centaines de chercheurs. À part la construction des différents éléments de détection des particules, tous ces types de projets comportent deux volets de recherche : un volet informatique de simulations des événements sur ordinateurs, et un volet prise de données et analyse. Dès le début Hannes s’intéressa à la production d’événements dans lesquels la production de quarks se manifestait par la production de jets de particules dans le détecteur (les quarks n’étant pas directement détectables), à la fois par simulation informatique et en développant des méthodes d’extraction des caractéristiques topologiques des jets. Selon le type d’événements en jeu, il pouvait y avoir deux ou plus de deux jets, le nombre de jets dépendant du mécanisme de production des quarks ou de formation de jets. Sans élaborer davantage sur les détails de ce type de physique des particules, ce domaine de recherche porte sur les mécanismes des interactions fondamentales (ici, l’interaction forte), qui ont toujours intéressé davantage Hannes que les études spectroscopiques qui ont monopolisé une grande partie des travaux des chercheurs en physique nucléaire.
Après ce bref survol de dizaines d’années de recherche et de participation à des projets d’élaboration de nouvelles activités de recherche de la part de notre collègue Hannes Jeremie, qu’il me soit permis d’insister sur un aspect plus personnel de son interaction avec les autres membres des groupes de recherche auxquels il collabora. Hannes fut toujours un collaborateur dévoué et attentif, se consacrant sans arrière-pensée aux nouvelles orientations de recherche qui auraient pu être sources d’inconfort et d’insécurité, comme dans tout changement important d’activité intellectuelle et d’environnement de travail. Dans chacun des projets de recherche, il fut un directeur consciencieux, et présent, de ses étudiants. Grâce à lui, la nouvelle activité en physique des particules a pu s’implanter à l’Université de Montréal. Bien sûr, une nouvelle génération de chercheurs et d’étudiants ont pris la relève, mais il importe de souligner que la contribution de Hannes Jeremie a été essentielle pour que naisse et se développe dans notre université et notre milieu une activité de recherche fondamentale de premier plan. Tous ceux qui l’ont côtoyé au cours de ces nombreuses années gardent de lui un excellent souvenir et tiennent à manifester leur sympathie à ses proches dont certains l’ont suivi dans leur carrière de chercheur.
Louis Lessard
Professeur retraité du Département de physique
Université de Montréal