HOMMAGE AU PROFESSEUR PIERRE DEPOMMIER

Pierre Depommier vient de nous quitter et son départ nous ramène à la mémoire tant de souvenirs sur tous ces événements qui ont émaillé la carrière de Pierre parmi nous, comme enseignant, chercheur, directeur de laboratoire, initiateur de projets de recherche et d’entreprises de renouvellement de la recherche, non seulement dans notre université, mais aussi au Canada.

Quand Pierre a accepté la direction du Laboratoire de Physique Nucléaire, à la fin des années 60, il avait déjà une réputation enviable comme enseignant et chercheur à Grenoble, et ses anciens étudiants en gardent le souvenir. Ses recherches faites au CERN sur la désintégration du pion restent classiques (en collaboration, entre autres, avec Volker Soergel, futur directeur du plus grand laboratoire de physique des particules d’Allemagne, et Carlo Rubbia, futur directeur du CERN et prix Nobel de physique). Plus tard, Pierre sera invité à rédiger, avec notre collègue Claude Leroy, un Physics Report sur le pion.

Au début des années 70, la physique nucléaire connaissait son âge d’or au Canada, mais il devenait clair qu’il fallait envisager un renouveau des équipements et des projets de recherche pour assurer l’avenir de la discipline. À ce moment était déjà apparu le projet d’un grand cyclotron dans l’ouest du pays, qui allait devenir le laboratoire TRIUMF, maintenant national.

Dès le début de ce projet de laboratoire, Pierre soumit, comme contribution au programme de recherche de TRIUMF, un certain nombre de sujets d’expérience sur les pions et les muons. Sans nous étendre sur la nature de ces projets, il convient de rappeler que leur réalisation, avec la participation de Pierre, a fortement contribué à la réputation de ce laboratoire. Ces projets de recherche, portant entre autres sur les désintégrations rares de ces particules, étaient motivés par la possibilité de violation de certains nombres quantiques, toute violation pouvant mener à une remise en question de nos connaissances actuelles. Ces projets, et leurs suites, se sont poursuivis durant de nombreuses années, et Pierre y fut toujours associé, même au-delà de la retraite, avec ses collègues de TRIUMF, qui l’ont toujours considéré comme un membre sénior et respecté dans tous leurs travaux.

Dans l’est du pays, d’autres projets de laboratoire virent le jour à la même époque, mais avec moins de succès. Une pierre d’achoppement de ces projets d’accélérateur fut toujours la difficulté d’amener à collaborer les laboratoires des différentes universités (comme disait à l’époque celui que l’on appelait le ‘tsar’ de la physique nucléaire au Canada (Geoff Hanna) : either you hang together, or you hang separately). Rappelons cependant ce qui fut le dernier de ces projets d’accélérateur, celui d’un grand accélérateur d’électrons, à cause du rôle de leader qu’y joua Pierre Depommier, et à cause de ses conséquences pour la physique subatomique dans notre université.

À la fin des années 70, des progrès technologiques permettaient la construction d’accélérateurs d’électrons à faisceaux continus, au lieu des faisceaux pulsés possibles jusqu’à cette époque. Ces faisceaux continus pouvaient rendre possibles des expériences pratiquement impossibles jusqu’à ce moment, et renouveler ainsi tout un domaine de physique nucléaire et, si l’énergie des faisceaux le permettait, s’attaquer aussi à certains problèmes de physique des particules. Malheureusement, le projet d’accélérateur d’électrons ne fut pas accepté malgré trois années de travail de préparation durant lesquelles Pierre y consacra l’essentiel de ses efforts. Au terme de cette entreprise, le groupe du Laboratoire qui s’était constitué autour du projet c’accélérateur d’électrons devait réorienter sa recherche à laquelle les accélérateurs du laboratoire ne pouvaient plus servir (ces accélérateurs trouvèrent bientôt une nouvelle vocation, mais c’est là une tout autre histoire).

Le premier projet auquel le groupe fut associé, sous la direction, au Laboratoire, de Pierre Depommier, et initié par George Ewan de Queen’s University, portait sur la désintégration du proton, avec la possibilité de créer un laboratoire souterrain dans une mine de Sudbury. Il s’agissait encore d’une entreprise ambitieuse, qui n’aboutit pas, mais qui donna lieu, plus tard, au projet qui allait contribuer à la construction d’un laboratoire souterrain à Sudbury (projet SNO). L’université de Montréal ne participa pas à SNO, mais contribua à la création du successeur de SNO (le SNOLAB) où notre collègue Viktor Zacek dirigea l’expérience PICASSO sur la matière noire, et où notre groupe en astrophysique des particules continue d’œuvrer.

Un autre projet auquel s’associa Pierre, avec la collaboration de notre collègue Claude Leroy, alors à McGill, fut le projet HELIOS, au CERN, sur le plasma de gluons et de quarks. Il permit le développement d’un nouveau programme de formation d’étudiants en physique des particules qui fut particulièrement fructueux. Avec le projet OPAL (dont Pierre ne fit pas partie) HELIOS devint le noyau du développement de la physique des particules dans notre université. Le projet actuel ATLAS est l’héritier de cette entreprise.

Il y aurait sans doute beaucoup d’autres choses à dire sur les activités de recherche de notre collègue disparu. Nous retenons comme fil conducteur des différents projets auxquels il fut associé la préoccupation de la signification physique des résultats recherchés. Pour Pierre, l’importance de la question posée dans un projet était fondamentale. C’est cette approche qui a servi d’inspiration aux générations d’étudiants et de chercheurs postdoctoraux qui ont travaillé pour et avec lui.

Deux derniers points méritent d’être soulignés. Plusieurs anciens étudiants et attachés de recherche de Pierre ont conservé, après leurs travaux avec lui, une relation d’amitié fidèle qui ne s’est jamais démentie. Autre source d’inspiration : son enseignement. Il a, à son arrivée à l’Université renouvelé l’enseignement de la mécanique quantique au premier cycle, et contribué ainsi à la qualité de la formation de nos étudiants, souvent soulignée dans les différentes collaborations scientifiques auxquelles nous avons participé. Peut-être y aurait-il lieu ici de citer un de ses anciens étudiants, et collègue, de Grenoble (Alain Laverne) : après avoir passé ‘la nuit sur une expérience au CERN … au matin (il prenait) sa voiture pour aller donner un cours à Grenoble, cours excellent bien au-delà de ce qui était alors la norme. Il était doué non seulement d’une connaissance encyclopédique de la physique….mais la qualité de ses cours était exceptionnelle et son style a constitué un modèle pour nombre de ses anciens étudiants. Il avait la coquetterie de toujours rappeler qu’il était un expérimentateur mais il exposait la théorie bien plus clairement que la moyenne des théoriciens.’

Peut-être y aurait-il lieu de mentionner ici les relations spéciales que Pierre entretenait avec nos théoriciens. Ces derniers appréciaient son esprit critique éclairé par ses vastes connaissances de la physique. Son interrogation pénétrante, accompagnée de son petit sourire inoubliable, a souvent ouvert de nouvelles perspectives inattendues.

Pierre a été pour nous un collègue respecté et inspirant. Il aurait fallu un texte beaucoup plus long pour rendre justice à sa contribution tant à notre université qu’à la communauté scientifique. Pierre a connu une longue et fructueuse carrière et continuait, bien après son départ pour la ‘retraite’ (une expression qu’il devait détester) à rester actif (comme en témoigne sa participation au projet KEK au Japon, avec des publications qui se sont poursuivies durant plusieurs années). Peut-être un jour un historien de la physique prendra-t-il le temps de raconter son histoire. Un tel récit ne manquerait ni d’intérêt, ni d’humour.

Louis Lessard et Michael Pearson

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